En Suisse, un bon quart de l’énergie est consommée par les ménages. Un tiers de ce volume pourrait être économisé sans nécessiter de mesures architecturales supplémentaires. Pourquoi tous les appels à l’économie demeurent-ils lettre morte?
L’énergie est une grandeur abstraite dont la valeur ne peut être directement expérimentée, ce qui explique pourquoi presque personne ne s’en préoccupe. À l’inverse, les «formes» concrètes résultant de son utilisation sont volontiers consommées et considérées comme indispensables: musique, télévision, plats cuisinés, lumière, chaleur, confort, bien-être. Appeler aux économies d’énergie est donc assimilé – au moins partiellement – à une incitation à renoncer à ces acquis jugés positifs qui témoignent d’une vie confortable.
Les économies d’énergie manquent d’attrait. Elles sont synonymes d’austérité, de sacrifice et de morosité. L’énergie est donc uniquement économisée lorsque cela se révèle rentable. Un renchérissement de l’énergie sous forme de taxe incitative pourrait effectivement influer sur la consommation privée. À l’heure actuelle, la mise en œuvre d’une telle mesure incitative demeure néanmoins difficilement réalisable sur le plan politique.
Force est de constater que les conséquences «positives» du gaspillage énergétique – lumière chaleureuse, chaleur agréable, musique à volonté et bains voluptueux – sont avantageuses pour l’individu. Ce gaspillage demeurant invisible, l’individu en profite sans être inquiété. À l’inverse, les répercussions (écologiques) négatives sont imputées à l’ensemble de la société, car elles concernent tout un chacun.
Les efforts entrepris afin de modifier la conscience, l’attitude et, par suite, le comportement de la population vis-à-vis de la consommation d’énergie sont-ils dès lors inexorablement voués à l’échec? Certainement pas. C’est en tout cas la conclusion à laquelle l’on parvient après avoir consulté une étude réalisée dans le cadre du programme national de recherche «Gérer la consommation d’énergie». Il étudie les possibilités d’influencer les mécanismes comportementaux des ménages afin de les inciter à une gestion plus lucide et économe de l’énergie. Les scientifiques sont parfaitement conscients que les instruments usuels de la politique énergétique, la formation des prix et les campagnes d’information, n’induisent qu’une modification insignifiante et passagère des comportements. Comment inciter quelqu’un à éteindre soigneusement l’éclairage lorsque la Prime Tower vis-à-vis inonde les rues de lumière du haut de ses 32 étages?
Une sensibilisation précoce, exhaustive et objective constitue l’instrument adéquat qui doit se substituer à la critique et aux leçons de morale. Tout comme il est nécessaire d’en appeler au principe de proportionnalité. La population doit comprendre que le modèle américain du «more is better» conduit à la catastrophe. Personne n’a besoin d’avoir deux réfrigérateurs dans son appartement ni un congélateur de la taille d’un camping-car dans un pays où le magasin le plus proche est à deux pas. On vit aussi très bien s’il n’y pas d’écran plat dans toutes les pièces et si tous les membres de la famille, du plus grand au plus petit, ne disposent pas d’une tablette et d’un smartphone.
Il ne s’agit ce faisant pas directement – ou du moins pas exclusivement – de l’électricité consommée par ces appareils, mais plutôt de l’énergie grise colossale nécessitée par tous les gadgets techniques. Du fait de leur courte durée de vie liée aux effets de mode, leur conception, leur production, leur transport et leur élimination se soldent par un bilan énergétique désastreux.
Les développements technologiques en matière de divertissement et de communication induisent une multiplication des téléchargements de films, de jeux, de musiques ou d’informations. Ce qui requiert à son tour des serveurs plus nombreux et plus performants qui consomment de l’électricité et qui sont installés dans des salles qui doivent être climatisées. Ce qui exige que le WiFi soit disponible tout le temps et partout et que des antennes et amplificateurs soient installés pour diffuser ces signaux. Interdire ou limiter l’utilisation des tablettes ou smartphones ne participe pas de ce projet de recherche qui vise plutôt à démontrer que leur utilisation inconséquente entraîne dans son sillage une pléthore d’installations et de prestations gourmandes en énergie. La pression sociale qui pousse la population à acquérir de plus en plus d’appareils devant constamment être renouvelés pour écouter de la musique, communiquer ou se distraire, et qui incite les enfants et les jeunes adultes à les utiliser sans interruption, constitue plutôt un phénomène d’ordre socioculturel. Mais ce phénomène n’est pas sans conséquences sur le bilan énergétique d’une famille.
En étudiant le comportement intime des ménages, ce projet de recherche réalise un travail pionnier. Les scientifiques s’intéressent néanmoins aussi à la conscience énergétique au sein de l’espace public. Les individus devraient aussi améliorer leur conscience énergétique dans le domaine «interindividuel», notamment en remettant en cause leurs exigences vis-à-vis de l’environnement. Si les pistes de ski n’avaient pas besoin d’être en permanence recouvertes de neige, les canons à neige deviendraient superflus. Les rues n’ont pas besoin d’être éclairées vingt-quatre heures sur vingtquatre. Les églises resplendissantes sont naturellement romantiques, mais peutêtre que limiter ces illuminations à trois ou quatre heures le soir serait amplement suffisant. Les gens devraient globalement réaliser que la question n’est pas tant la faisabilité, mais davantage le sens et la nécessité d’un luxe énergivore.
De manière générale, les modifications comportementales interviennent extrêmement lentement et sont difficilement quantifiables. Elles tendent surtout à se manifester dans des situations «disruptives» où l’ordre établi est bousculé. Lorsqu’un enfant vient au monde, qu’il a besoin de calme, qu’il bouleverse l’emploi du temps de ses parents ou que les gens déménagent, on observe alors une transformation radicale des comportements habituels.
Projet de recherche: Efficacité énergétique
au sein des ménages (PNR 71)
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