«Le jeu avec les forces me fascine»

Qu’est-ce que le mot «Énergie» évoque pour vous ?

Par où commencer ? Tout ce qui fascine et m’occupe est une question d’énergie. Le ski est l’un des rares sports dans lequel la force primaire ou l’énergie que l’on utilise ne vient pas de nous. Un sprinter fait appel à ses muscles, mais un skieur est entraîné par la gravité. Tu dois essayer de maîtriser une force qui est toujours plus grande que toi. Ce jeu avec les forces me fascine également dans l’aviation. Et tout s’articule toujours autour de l’énergie dans le domaine de la physique.

L’été dernier, vous avez passé un bachelor en physique à l’EPF de Zurich. Est-ce que vous pouvez envisager de vous consacrer aussi à la science après votre carrière sportive ?

À vrai dire, je ne me considère pas comme une physicienne. J’ai obtenu mon bachelor à l’EPFZ et c’est une toute petite étape sur le chemin. Entamer des études de physique juste après avoir arrêté la compétition n’était peut-être pas la meilleure idée. Je pensais qu’il était facile de rester assise et d’étudier toute la journée et que je pouvais le faire indéfiniment. Mais, non ! Lors du premier cours, lorsque le professeur a annoncé qu’il ­fallait compter avec un investissement de 60 heures par ­semaine, je me suis dit : impossible ! Au bout de quatre semaines, j’ai fait le bilan et je suis arrivée sans problème aux dites 60 heures. C’était pour le moins intensif vu mes autres obligations, mais j’ai poursuivi mon cursus régulier. Et maintenant, après six mois de « pause dans mes études », je commence à avoir envie d’entamer le master. Mais, tout comme la compétition sportive, une carrière scientifique exige un réel engagement. 

Avez-vous déjà un thème qui vous passionne ?

Deux domaines m’intéressent beaucoup. J’ai écrit mon travail de bachelor sur le premier : la neige. C’est une matière com­plexe et qui n’a pas encore réellement été étudiée de manière approfondie, car il est très difficile de travailler avec la neige. Effectuer des recherches sur la neige est un véritable cauchemar ! Elle se modifie en permanence. L’autre thème qui me tient à cœur est l’aéronautique. 

Revenons un instant sur ce point. Vous imaginez-vous aux commandes d’un avion électrique ?

Tout à fait. De nombreux développements vont dans cette direction. Mais la propulsion électrique n’est que l’un des nombreux potentiels d’amélioration offerts par l’aviation. Un avion présente une résistance au frottement plus faible et doit par conséquent être plus efficace qu’une voiture ou un train, sinon cela n’aurait aucun sens. J’ai calculé que, lorsque je me rends au Tessin, je consomme moins de carburant avec un petit avion qu’avec une voiture, parce que je progresse en ligne droite et que la distance est donc plus courte. Et parce que les avions ­légers d’aujourd’hui nécessitent beaucoup moins de carburant. Ce qui n’enlève rien au potentiel restant à exploiter.

Vos études ont-elles modifié ­votre rapport à l’énergie ?

Oui, mais pas seulement cela. De manière générale, le fait de poursuivre mes études a aussi modifié ma façon de penser et d’argumenter. À l’EPFZ, on nous inculque que la nature de la réalité doit être appréhendée avec circonspection. J’ai appris à étudier les faits en détail et à les justifier avec logique. En ce qui concerne l’énergie, il m’apparaît évident que notre attitude face à la gestion de l’énergie et le changement climatique constituent les plus grands défis de notre temps. Mais je ne suis pas de nature pessimiste. Je ne vois aucune raison que la recherche ne trouve pas de solution – si elle dispose de suffisamment de moyens et de temps. Nous devons économiser l’énergie et découvrir des sources d’énergie durables qui affectent moins le climat. Il incombe aux futures physiciennes et physiciens d’apporter des solutions à cette problématique.

Le climat fait aussi débat sur les pistes de ski. Ce thème était-il d’actualité lorsque vous étiez encore en course ?

Bien sûr que le changement climatique constituait déjà une préoccupation. On ne peut ignorer les changements qui inter­viennent lorsqu’on y est continuellement confronté. Tu te rends tous les ans sur le même glacier et tu constates chaque année qu’il a encore reculé de manière impressionnante. Depuis mes débuts en Coupe d’Europe, huit glaciers européens ne permettent plus de s’entraîner en été. Avant, c’était possible en juillet, maintenant il faut attendre le mois d’octobre. En 2006, nous avions skié à Engelberg durant tout l’été. C’est impensable aujourd’hui.

Comment les sportifs gèrent-ils les hauts et les bas ?

Chacun à sa manière. Je suis vraisemblablement une sorte de caméléon. Lorsque je remarque qu’une route est bloquée ou qu’une porte se ferme, cela me préoccupe un certain temps, mais pas très longtemps. Je trouve beaucoup plus intéressant de me concentrer sur les possibilités qui s’offrent encore. Même si mon objectif à long terme est toujours demeuré le même au niveau sportif, mon parcours n’a rien d’une ligne droite. En 2015, j’avais tout misé sur le Championnat du monde. Et puis je me suis blessée de manière inattendue ! Sur le chemin du retour, je ne savais qu’une seule chose, c’est que je n’allais certainement pas finir ma carrière dans un lit. Je savais que la saison serait difficile, mais je me suis quand même positionnée au moins une fois dans les dix meilleures dans toutes les disciplines. Après tout ce que j’avais traversé, c’était une belle conclusion.

Vous êtes aujourd’hui déléguée du Conseil de fondation de l’Aide sportive suisse et vous apportez votre soutien aux sportives et sportifs. À quoi reconnaît-on qu’un jeune athlète a le potentiel d’un champion ?

Ce sont dans un premier temps les associations sportives ou Swiss Olympic qui décident quels sont les athlètes qui méritent d’être encouragés. Nous vérifions ensuite s’ils ont des besoins matériels. Nous ne soutenons pas ceux qui disposent de suffisamment de moyens, mais uniquement ceux auxquels le sport ne permet pas de s’en sortir financièrement. Nombreux sont les athlètes qui finissent leur carrière endettés. Je trouve que ce n’est pas normal. Ces athlètes donnent tout et représentent notre pays. Ils méritent de vivre décemment. C’est mon coach mental qui m’a transmis les meilleurs indicateurs pour juger de la capacité de quelqu’un à atteindre le sommet : quelle est la force de la passion qui l’anime ? Et avec quelle rapidité peut-il la transformer en performances ? Naturellement, cecler ne vaut pas uniquement pour le sport, mais aussi pour la culture et la recherche.

Que faire lorsqu’on identifie le potentiel d’un sportif mais qu’il s’y « prend mal » ?

Dans ce cas, je dois toujours me maîtriser. Je meurs d’envie d’intervenir. Naturellement, surtout en ce qui concerne le ski. Le fait que mon parcours n’ait pas toujours évolué de façon linéaire n’y est certainement pas étranger. J’ai connu presque toutes les situations. Mais, ce n’est pas parce que quelque chose a fonctionné pour moi qu’il en ira de même pour les ­autres. Je ne dis jamais à quelqu’un de faire les choses de telle ou telle manière, je lui demande plutôt: « As-tu déjà réfléchi aux raisons qui pourraient expliquer que… ? » Ce qui caractérise les meilleurs athlètes ou de manière générale les gens qui sont à la pointe, c’est qu’ils se remettent en permanence en question et cherchent des solutions. C’est la raison pour la­quelle j’essaie toujours de stimuler leur réflexion.

Personnellement, comment vous ­ressourcez-vous ?

Le ski est toujours en tête de liste. Je pratique beaucoup ­d’activités physiques et j’aime profiter de la nature. Durant ma première année à l’EPFZ, il m’a été très difficile de supporter l’absence de fenêtres dans les amphis. Sinon, je me nourris de petits plaisirs : écouter de la musique en voiture ou dans le train. Ça tombe bien parce que je dois beaucoup voyager. Et avoir tout simplement du temps sans rien de prévu. 


Dominique Gisin a été sacrée championne olympique de descente en 2014 à Sotchi ; elle est déléguée du Conseil de fondation de l’Aide sportive suisse.


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